La-Bio-Medicale-en-Tunisie

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Aspects éthico-juridiques de la recherche biomédicale en Tunisie

Aspects éthico-juridiques de la recherche biomédicale en Tunisie
A. Chadly
Chef de Service de Médecine Légale - Cercle éthique
Hôpital Universitaire Fattouma Bourguiba - Faculté de Médecine
Monastir (Tunisie)
Introduction :
La recherche biomédicale est nécessaire pour le progrès de la médecine. L’obligation du médecin de donner des
soins actuels et son devoir de venir à bout des difficultés croissantes de la médecine constituent des facteurs de
motivation pour la recherche. Conçue donc dans l’intérêt de l’Homme, certains événements de l’histoire ont
révélé les dérapages dont elle a fait l’objet, d’où la nécessaire garantie de protection des droits des personnes
qui s’y prêtent.
La recherche biomédicale est encore jeune en Tunisie. L’effort des chercheurs est certain et des noyaux sont en
train de se constituer dans les structures hospitalières et universitaires du pays. Le Code de déontologie médicale
a fixé les règles à respecter lors de l’expérimentation sur l’être humain, malade ou volontaire sain. Qu’en est-il de
la législation tunisienne dans ce domaine ? Couvre-t-elle les besoins et les problèmes de la recherche
biomédicale dans le pays ? Quels en sont les enjeux éthiques généraux et/ou spécifiques ? Y a t-il des
améliorations à apporter à l’organisation matérielle et réglementaire de la recherche biomédicale en Tunisie?
La recherche biomédicale entre la nécessité et la précaution :
Trois protagonistes participent dans le scénario de la recherche biomédicale :
- le promoteur, personne physique ou morale (laboratoire pharmaceutique, fabricant de matériel biomédical…) qui
initie la recherche et la finance,
- l’investigateur, chercheur, médecin dirigeant et surveillant la recherche,
- la personne se prêtant à la recherche, pouvant être un malade ou un volontaire sain.
Ce trio est uni par un protocole expérimental qui peut présenter un intérêt thérapeutique par rapport à un malade
(recherche avec bénéfice individuel direct) ou être sans intérêt thérapeutique (recherche sans bénéfice individuel
direct).
L’examen de la relation investigateur-personne se prêtant à l’expérimentation fait sortir certaines questions
relatives au consentement de cette personne à la recherche ainsi qu’à la protection de ses droits. La relation
entre ces parties est déséquilibrée du fait, notamment que la recherche se fait sur la personne malade. La
dépendance du patient de son soignant vient modifier le schéma relationnel souhaité. Le consentement obtenu
correspond-il réellement à une volonté librement décidée ou à une faveur accordée à son « docteur » pour ne pas
le décevoir ou par crainte de sa réaction ? Quelle information a reçue ce malade pour comprendre qu’il a le droit
de refuser de se soumettre à l’expérimentation sans que cela ne vienne modifier la qualité des soins qui lui sont
donnés ? L’information doit être certes appropriée et adaptée aux capacités de compréhension du patient.
Avancée dans certains cas dans une langue qui n’est pas la sienne ou qu’il ne pratique pas tous les jours,
constituée entre autres de termes biomédicaux et juridiques, cette information sera-t-elle intelligible pour ce
malade ? Le problème de l’intrication recherche-soins est l’un des plus épineux, non seulement en Tunisie mais
de par le monde. Cette intrication est nécessaire, trouvant sa justification éthique dans le bénéfice individuel
direct escompté pour le malade. A l’extrême, ce dernier peut venir à la recherche car il a appris que celle-ci va lui
offrir l’opportunité de bénéficier des traitements les plus actuels et par conséquent les plus coûteux. Ceci peut
paraître admissible, mais quand le malade indigent consent, sans réelle conviction ou à contrecoeur, à un
protocole thérapeutique faute de moyens et de choix, quelle valeur éthique doit-on accorder à ce consentement
qui correspond plutôt à un abandon de sa volonté ?
Eu égard à tout ceci, la recherche évolue entre la nécessité de son existence et de son développement d’une part
et la précaution d’autre part, voire même la méfiance qu’elle suscite dans le public. Jean Bernard en a dit qu’elle
est «normalement nécessaire et nécessairement immorale».
Attitude du législateur en Tunisie :
La législation tunisienne en matière de recherche biomédicale sur l’Homme ne couvre actuellement que
l’expérimentation médicale ou scientifique des médicaments destinés à la médecine humaine, régie par le décret
n°90-1401 du 3 Septembre 1990
Le texte autorise l’expérimentation médicamenteuse sur la personne majeure, jouissant de ses facultés mentales
et de sa capacité juridique, avec cependant la possibilité de mener une expérimentation à finalité thérapeutique
spécifique à l’affection en cause, sur les malades ou déficients mentaux après consentement du tuteur légal, en
excluant les mineurs ainsi que les femmes enceintes ou allaitantes. La personne capable de consentir se prêtant
à cette expérimentation doit donner son consentement libre, éclairé et écrit après son information par
l’expérimentateur sur les objectifs de la recherche, la durée ainsi que les contraintes et effets indésirables
prévisibles y afférents. Le risque lié à l’expérimentation doit être minime en comparaison avec le bénéfice
escompté. Des essais in vitro et chez l’animal doivent avoir été réalisés auparavant, avant de passer à l’Homme.
La soumission des personnes à la recherche doit être bénévole et gratuite. Le promoteur de la recherche doit
contracter une assurance en responsabilité civile couvrant les expérimentateurs et les personnes se soumettant à
cette recherche.
Le Ministère de la santé publique délivre après examen du protocole une autorisation de réalisation de
l’expérimentation qui peut se dérouler dans un établissement de soins ou de recherche public ou privé avec, dans
le cas où la recherche se fait dans un établissement public, une autorisation préalable du comité ou conseil
scientifique dudit établissement. Le ministère de la santé publique exerce un contrôle sur l’expérimentation par
l’intermédiaire de médecins- et de pharmaciens-inspecteurs.
Le promoteur et l’investigateur restent pénalement et civilement responsables, chacun pour ce qui le concerne,
des fautes et du dommage qui peut en résulter conformément aux textes légaux d’application générale dont
notamment le Code pénal et le Code des obligations et des contrats (code civil tunisien).
Evaluation de la situation :
Le texte régissant actuellement en Tunisie l’expérimentation médicale ou scientifique des médicaments destinés
à la médecine humaine est-il suffisant ? Résout-il le problème de la recherche biomédicale dans le pays sachant
qu’il ne couvre en fait que l’expérimentation médicamenteuse sur l’Homme ? Qu’en est-il des autres types de
recherche sur l’Homme ?
Le texte ne s’applique manifestement pas aux travaux de recherche autre que médicamenteuse, pouvant être
conduits dans les lieux de soins ou dans des laboratoires d’investigation. D’autres part, est-ce qu’un organisme
central tel que le ministère de la santé publique peut examiner, connaître et contrôler tous les protocoles
expérimentaux en cours de réalisation dans le pays sans l’existence de structures périphériques ayant reçu
délégation de le faire. Les pays occidentaux telle que la France ont mis sur pied les Comités Consultatifs de
Protection des Personnes qui se Prêtent à la Recherche Biomédicale (CCPPRB), structures chargées d’examiner
les protocoles de recherche et de veiller à protéger les malades ou les volontaires sains soumis à
l’expérimentation. L’idée de mettre sur pied des Comités d’éthique locaux en Tunisie remonte à 1997 et figure
dans l’avis n°2 rendu en avril 1997 par le Comité n ational d’éthique médicale. Seulement, aucun texte légal ne les
a encore créés. Des initiatives personnelles ont pu générer des comités locaux d’éthique médicale dans quelques
hôpitaux et instituts en Tunisie. A l’Hôpital Universitaire Fattouma Bourguiba de Monastir, une comité a vu le jour
en 2000 et a pu examiner jusqu’à ce jour une vingtaine de protocoles expérimentaux. La majorité de ces
protocoles rentre dans le cadre de la coopération nord-sud et consistent en des études multicentriques. Ces
comités locaux sont devenus de nos jours d’une grande importance compte-tenu notamment de la création
d’Unités et de Laboratoires de recherche conformément aux dispositions du décret n°97-939 du 19 mai 19 97,
fixant l’organisation et les modalités de fonctionnement des Laboratoires de Recherche et des arrêtés du Premier
Ministre du 11 juin 1998 fixant les critères d’éligibilité au statut de Laboratoire de Recherche et du Ministre de la
Santé Publique du 22.7.1999 fixant les critères d’éligibilité au statut d’Unité de Recherche dans les structures
sanitaires publiques. La création de ces Unités et Laboratoires de recherche va aboutir à une prolifération des
protocoles expérimentaux
Le décret n°90-1401 du 3 septembre 1990 a par aille urs exclu du champ de l’expérimentation médicamenteuse
les personnes mineures, les femmes enceintes et allaitantes. Il est entendu que ces dispositions ont été prises
par mesure de prudence contre les éventuels abus et les risques encourus du fait de la recherche. Seulement, en
excluant cette catégorie de personnes du terrain de la recherche, ne les exclut-on pas indirectement des
dividendes du progrès de cette recherche et ne prive-t-on pas les catégories de personnes placées dans la même
situation de l’avancée biomédicale. Ce texte légal laisse apparaître, à notre avis, des insuffisances et engendre


08/10/2012
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